Maître du geste et du trait, Henri Matchavariani explore depuis longtemps les voies de l’essentiel. Sa retenue toute orientale ne donne à voir- et à ressentir-que la trace subtile et fascinante du sens et de l’émotion. Chez lui toute forme respire, dialogue avec le vide, palpite d’une énergie qui confine à l’étrange.
L’ensemble des oeuvres présenté en cette exposition met en évidence la lumineuse unité du trait au fil du temps, d’un seul trait traversant les années, toujours plus clair, toujours plus pur dans toute sa puissance.

Interview:
– Voici votre nouvelle exposition, quels ont été vos influences artistiques, la source de vos inspirations?
HM: Elles ont été bien sûr nombreuses. Mais lorsque j’étais jeune, Modigliani m’a considérablement influencé. J’aime ses visages longs car cela me fait penser à des icônes. Comme je suis orthodoxe, j’y suis très sensible.
Chez lui, le regard est plein de mystère et d’infini.
Plus tard, j’ai découvert Hokusai, maître de l’estampe, la référence absolue. Ainsi que tout l’art de la calligraphie extrême orientale.
Le cinéma japonais également avec tous les films de Kurosawa. Cela m’est venu à vingt ans. Il y a eu également de très grands films du réalisateur Shinoyana, « Harakiri », qui m’a également beaucoup inspiré.
Attiré par ce monde, des samurais et du Japon ancien, ne m’étant jamais rendu au Japon jusqu’ici, j’ai recréé un Japon imaginaire, fait de réalité et de fantaisie. Je m’inspire aussi de sa calligraphie. Je tends à l’envol du trait, à la légèreté, à l’espace, au vide et au plein.
J’aime cette phrase qui définit souvent le travail que je fais : « Juste quelques traits… » Intitulé de ma dernière exposition comme de plusieurs autres qui ont précédé et qui suivront très probablement».
Christian Dotremont, l’un des créateurs du groupe Cobra (Copenhague, Bruxelles Amsterdam) avait une très belle définition de l’esprit de ce groupe « Peindre l’écriture et écrire la peinture ». Devise que je me suis appropriée sans peine.
Ayant choisi le trait pour m’exprimer, j’écris la peinture.
Et puis il y a aussi Fernando Pessoa, le grand poète portugais. Ses poésies, ses mots, ses récits m’ont énormément ému. D’ailleurs, le premier vers d’un de ses poèmes m’a profondément touché car il parle de la complexité et des mystères de l’âme humaine:
«Je ne sais quel est ce sentiment encore inexprimé qui, soudain comme un étouffement
m’étreint ».
N’est-ce pas magnifique?
Comme vous voyez, mon atelier est rempli de dessins, de croquis, d’affiches.
Il faut absolument faire le vide pour pouvoir faire le plein. Il faudrait que je me débarrasse de tous mes dessins pour retrouver la pureté absolue, la simplicité de ce qui vient.
J’ai dessiné jusqu’ici beaucoup de nus, des portraits, que je faisais à la mine de plomb, aux pastels ou bien en peinture. En peinture et en dessin, je suis passé des femmes nues aux fruits. Je peins les femmes comme je peins les fleurs et les fruits et réciproquement. D’ailleurs l’une de mes expositions avait pour titre : « Femmes fleurs, femmes fruits, Courbes et Parfums ».

– Avez-vous eu une rencontre marquante ? Avez-vous fait un parcours atypique ?
HM: Tout d’abord ma découverte du film « Les enfants du paradis » de Marcel Carné.
Un choc. Puis je suis allé voir le spectacle du mime Marceau à Paris. Puis encore un choc déterminant, la rencontre d’avec Félix Leclerc qui par la suite devint un ami. Au cours d’un spectacle, une de ses chansons était mimée par un mime canadien, Claude Saint Denis. Celui-ci me mit sur la voie de Monsieur Etienne Decroux, grand maître du mime qui fut le prof de Marcel Marceau et de JL Barrault entre autres. Je me suis engagé à suivre ses cours pendant près de trois ans. J’y ai découvert le mouvement et l’espace et mon corps dans cet espace.
Faire un dessin comme je l’ai fait nécessite une participation physique: gestuelle et souffle pour créer le rythme. Comme dans l’art du mime. Donc je crée quelque chose qui « n’est » pas. Je « donne » à voir ce qui n’est pas.
Dans mes dessins, femmes, fleurs et fruits sont plein de sensualité. Regardez l’image de cette femme entourée de fleurs. La bouche immensément rouge en forme de fruit est un appel au baiser, non ?

– Et avant de devenir illustrateur que faisiez-vous ?
HM: J’ai commencé ma carrière en étant Directeur Artistique pour de grandes agences de publicité:
Havas, NCK, Mc Cann, Publicis. J’y ai réalisé de grandes campagnes de pub et ai fait tourner de nombreux films publicitaires avec Jean Becker, Jean-Jacques Annaud, Claude Miller et bien d’autres. J’ai même obtenu deux prix importants pour deux de ces films : un Lion d’Argent à Cannes et un Clio d’Or à New York.
Plus tard, comme j’avais fait le tour de la question et que beaucoup de monde me demandait des dessins, j’ai choisi de devenir illustrateur et peintre.
Alain François, qui était un des meilleurs agents d’artistes de l’époque, m’a pris dès lors dans son équipe et tout est parti comme une flèche. Air France, campagne de presse et affiches, France soir, Salon du Prêt-à-porter, des magazines de mode, Fiat, le Salon International de l’automobile de Turin, Montedison-Italie, automobiles BMW-Hollande, Woolmark, l’Oréal, Marie Claire Italie, les décors et les costumes d’Opéra, le magazine Joyce, les grands magasins Melsa au Japon…
J’ai ainsi enchaîné toutes ces créations avec toujours un trait fluide et direct qui était devenu mon style tant apprécié ici et là.

– Vous êtes installé dans cet atelier depuis quelques années. Avez-vous travaillé avec d’autres artistes ? Avez-vous un souvenir inoubliable à nous raconter ?
HM: Il y a quelque temps, une performance en public que j’ai réalisé avec une grande calligraphe amie, Bénédicte Gérin. Mais, malheureusement, l’expérience ne s’est pas poursuivie.
Du bouillonnement fertile né de la rencontre que je fis avec le grand maître du mime, Monsieur Etienne Decroux, qui fut aussi le professeur de Marcel Marceau et de Jean Louis Barrault, j’ai suivi la voie du geste qui m’a mené vers la finalité du point et du trait du grand maître Hokusai, le vieillard fou de dessin qui a écrit:
« Tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante ans ne vaut pas la peine d’être compté. C’est à l’âge de soixante treize ans que j’ai compris à peu près la structure de la nature vraie, des animaux, des herbes, des arbres, des oiseaux, des poissons et des insectes. Par conséquent à l’âge de quatre vingt-dix ans je pénétrerai le mystère des choses; à cent ans je serai décidément parvenu à un degré de merveille, et quand j’aurai cent dix ans, chez moi, soit un point une ligne, tout sera vivant. ».
« Juste quelques traits »
Exposition des oeuvres d’Henri Matchaviarani
A l’Espace Century 21, sur l’Ile St Louis à Paris
A partir du 4 février 2016