Le Centquatre, à Paris, accueille les photographes Mathieu Pernot et Raphael Dallaporta. Ils exposent leurs travaux, sur l’univers carcéral « La Santé » et sur un paysage millénaire, les dessins de l’humanité que l’on trouve sur les murs de la grotte de Chauvet Pont d’Arc, du 13 octobre au 6 janvier 2018.
Les travaux présentés ici sont bien spécifiques. En effet, les artistes abordent la photographie à leur façon et traitent de sujets différents.
Mathieu Pernot a intitulé la série photographique La Santé. Il utilise l’outil photographique comme un moyen de témoigner d’un fait, de montrer la société sous ses côtés les plus durs. Il axe ses travaux sur des sujets de société:
Un camp pour les bohémiens (1998-99), Les Migrants (2009), Les Hurleurs (2001-2004), L’Asile des photographies (2010-2013), Le Meilleur des mondes (2006).
Il s’agit ici d’un lieu d’enfermement. Les photos montrent la destruction de la prison de la santé, située dans le 14e arrondissement à Paris. Ce lieu mystérieux a accueilli de nombreux prisonniers, tels que le poète Guillaume Appolinaire et le gangster Jacques Mesrine.
Mathieu Pernot montre les traces laissées sur les murs par les détenues. Les tirages montrent des bâtiments déserts, des portes ouvertes, des cellules vides. Le spectateur est alors amené à imaginer la vie de ces prisonniers à ce moment là. La puissance de l’image a ici tout son sens.
@Mathieu Pernot, La Santé, 2015
Interview de Mathieu Pernot
-Comment avez-vous commencé la photographie?
MP : J’ai véritablement commencé la photographie lorsque j’avais 16 ans. Etudiant dans un lycée, j’étais à cette époque interne. J’ai eu l’idée de photographier ce lieu dans lequel je passais la plupart de mon temps. Mon intention était artistique. J’avais la volonté de produire des images particulières dans un lieu particulier. Quelques années plus tard, à 23 ans, je suis entré à l’école de photographie d’Arles. J’ai appris les bases de la photo, la technique et comment développer sa créativité.
-Envisagez-vous la photographie comme témoin d’un monde? un arrêt sur image d’un fait culturel ou social?
MP : La photographie est témoin d’un monde dans le sens où elle est la trace de quelque chose qui existe. Elle est l’art du réel par l’image. Elle peut permettre de comprendre le monde. Mes travaux sont inscrits dans des questions politiques, dans le sens de la vie, dans le mode de vie de certains et sur notre société. C’est une photographie à la croisée de l’histoire, de l’ethnologie et de la sociologie.
-Vous attachez une importance particulière à la photo documentaire, au reportage (engagement auprès des communautés…). Le photographe a-t-il un rôle de conteur? Quel est votre moteur?
MP : Mon seul moteur est l’envie. Je travaille, en effet, avec une famille tzigane mais je ne fais pas parti de leur communauté. Par ailleurs, les migrants ne sont pas une communauté, ce sont des gens différents. Je suis poussé par la curiosité et l’envie de montrer, de donner à voir ces mondes là. Mon travail ne révèle pas d’un programme. Ma motivation vient de l’envie de faire des images et de me confronter à un certain réel.
-Comment travaillez-vous vos sujets? Quelle est votre technique photographique?
MP : Je n’ai pas de technique particulière. Je travaille en argentique ou en numérique. Ma particularité est de ne pas avoir de façon de procéder. J’ai les moyens dont j’ai besoin. Ce qui fait une bonne photo ce n’est pas l’appareil, c’est l’adéquation que l’on fait avec le réel.
-Quel regard portez-vous sur la photo aujourd’hui?
MP : Il y a des pratiques photographiques très différentes et certaines m’intéressent plus que d’autres. Je vais voir beaucoup d’expositions. L’apparition des réseaux sociaux et le numérique ont fait que la pratique photographique est aujourd’hui différente.
@Raphael Dallaporta, Chauvet Pont d’Arc
Raphael Dallaporta, photographe français formé aux Gobelins à Paris, se lance très vite dans des projets insolites, de photographe artiste, privilégiant une approche scientifique. L’image a une fonction documentaire et symbolique. Il signe plusieurs séries dont Antipersonnel Esclavage domestique, Ruins.
La dernière série, en noir et blanc, traite de façon étudiée des œuvres des hommes de la préhistoire. Il place le cadre dans la grotte Chauvet Pont-d’Arc, en Ardèche, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Il a conçu un dispositif de prise de vue automatisé lui permettant de recomposer en images les volumes et les détails. Il présente ses images sous forme de fresque photographique. Il présente également une installation vidéo qui permet au spectateur de comprendre son travail et d’entrer dans ce lieu fermé au public.
Ces panoramas présentent sur une même vue plusieurs photographies qui se succèdent. Les images sont accompagnées d’une composition sonore. Selon Raphael ce mouvement est légèrement déstabilisant, c’est une métaphore du mouvement du monde, de la rotation de la terre et de ses planètes. L’image est un objet de réflexion.
Interview de Raphael Dallaporta
-La photographie permet de fixer l’état du monde dans lequel nous vivons. Qu’en pensez-vous?
RD : La photographie fixe avant tout l’action de la lumière. Puis, à bien y regarder, elle est aussi un langage merveilleux. et elle nous permet de questionner le monde. La magie de la photographie vient du fait que rien n’est fixe dans l’interprétation que nous donnons aux images.
–Le photographe documentaire isole-t-il selon vous un aspect de la société pour mieux l’étudier et se l’approprier?
RD : L’image permet de rendre sensible des phénomènes, des sujets, des objets ou des lieux inaccessibles. La photographie documentaire remplit bien ce rôle, dans le sens où elle touche à la sensibilité du spectateur. Mais l’image peut bien plus. Elle est capable de nous donner accès à une dimension symbolique, pour devenir source de pouvoir.
–Comment avez-vous construit votre projet : photographier les dessins de la grotte de Chauvet Pont d’Arc en Ardèche ? Comment est venue l’idée d’un dispositif de prise de vue automatisé ?
RD : Il m’a semblé pertinent d’approcher la grotte ornée comme un paysage.
Ne disposant que de trois fois deux heures, j’ai proposé à l’équipe de conservation de rentrer dans la grotte avec un ‘robot’. Pendant qu’il réalisait automatiquement la capture de panorama en restant au point que j’avais déterminé en dialogue avec l’équipe scientifique, je pouvais le laisser faire, m’isoler tranquillement pour contempler la grotte de mes propre yeux. C’est cette vision libérée de décisions et de contraintes, que je peux à partir des images enregistrées, que d’une certaine manière mieux la transmettre aussi bien dans le livre* et dans l’installation que je réalise au CentQuatre, invitant le visiteur à réaliser de nouveaux types de rituels avec l’image.
-Qu’ajoute le son à vos photographies ?
RD : Par sa composition musicale Marihiko Hara invite à la contemplation, il renforce l’impression d’un paysage bien plus organique que minéral les entrailles de la terre deviennent par d’harmonieuses vibrations sonores nos entrailles. Ils nous permettent ainsi de questionner ce qu’il y a de plus immémoriale en nous.
La photographie, Le Centquatre Paris
La Santé, Mathieu Pernot
Du 13 octobre au 6 janvier 2019
Chauvet Pont d’Arc : l’inappropriable, Raphael Dallaporta
Du 13 octobre au 6 janvier 2019
Livre photographique, éditions Xavier Barral, 2016
Le Centquatre Paris, #104Paris
5 rue Curial, 75019 Paris
http://www.raphaeldallaporta.com