Créateur de mode, artiste aux multiples talents, Jean-Charles de Castelbajac expose ses dernières œuvres picturales, un projet inédit, à la galerie Danysz, à Paris, du 3 février au 17 mars 2018.
Cette exposition personnelle rassemble plusieurs idées dont le travail de Castelbajac sur les marques, les logos, qui ont un effet de changement dans notre société et souligne l’importance des collaborations artistiques, qui donnent vie à des œuvres insolites.
Figure incontournable de la mode, il débute sa carrière en travaillant les tissus, passe par la Haute couture et habille des personnalités célèbres. Il continue aujourd’hui avec un mode d’expression plus personnel, plus intime, les dessins.
Diplômé de l’Ecole des Beaux-Arts et de l’école supérieure des industries du vêtement, il crée en 1968, une ligne de PAP pour la marque KO and Co. Puis dans les années 70, il ouvre sa première boutique, place du Marché Saint Honoré à Paris. Très Pop’art, il développe un style influencé par ses rencontres.
Quelques dates importantes, en 1978, il fonde sa maison de création et crée une ligne de vêtements masculins en 1980 et lance sa fragrance « Première ». Inspiré aussi par la photographie surréaliste, son défilé femme automne-hiver 2011-2012 s’intitule Woman Ray. Il imagine aussi sur les vêtements des personnages Disney, des peluches, les marionnettes du Muppet Show ou Kenny de South Park.
Il habille Farah Fawcett en 1977 pour le film « Drôles de dames » et le Pape pour les JMJ de 1997, la chasuble rebrodée de croix.
En 1986, une première exposition lui est consacrée au Fashion Institute of Technology de New York, en 1988 une autre Antikörper à l’Académie des Arts Appliqués de Vienne où il enseigne la mode depuis 1985.
Il habille aussi les génériques de chaines de télévision et collabore avec les artistes : Robet Mapplethorpe, Robert Malaval, Keith Haring, et avec la maison Courrèges, puis d’autres marques de prêt-à-porter : Kipling, K-Way, une ligne de ski pour Rossignol, des chaussures pour Mellow Yellow, réalise une collection inspirée de la canette Coca-Cola pour les 125 ans de la marque.
Jean-Charles de Castelbajac a récemment dessiné 40 passages d’une collection de mode onirique ( Mannhereim Gallery, juillet 2017). Il s’exprime à travers de nombreux supports, la mode, le dessin, la peinture, les performances, scénographie et le Street-art à la craie.
Son parcours est riche et chargé de rencontres. Après « Tyrannie de la beauté », deuxième exposition picturale où il travaille sur le détournement de signes, il met en avant aujourd’hui l’importance des collaborations et de l’instant.
Un trait épais, noir et blanc, l’artiste passionné choisit de mixer, dans cette exposition, dessins et messages écrits, à la manière de Picasso. Il utilise la peinture à l’huile et charge son œuvre de références cinématographiques et musicales, nées de ses rencontres : son amitié avec Sonia Rykiel et Sonia Delaunay, est représentée dans un tableau où les rayures sont prépondérantes ; la création « The Mall, The Wall », où Jean Charles de Castelbajac s’est approprié le shopping bag, marqué et dessiné, intitulé « Patti Smith », « Chloé Sevigny » ou encore « Goya »…
L’artiste se représente dans trois dessins, sous forme de pictogrammes : « Catho », « Punk », « Aristo » où il devient une icône dans le temps…dans une autre les trois couleurs et le blason prédominent sur les pochettes de disques. Il met en avant la technique de l’effacement. Le spectateur est amené vers une forme de disparition. Le logo est mis en abîme.
L’idée de déplacement fait partie de l’art. Les plus grandes enseignes se déplacent dans l’œuvre, une sorte de tableau généalogique de la mode où l’artiste recherche à construire l’histoire de l’éphémère, la trace, à travers des siècles d’un passage important : « Hermès », « Chanel, « Fendi »…
L’abstraction est au centre de cette série, défendant l’idée d’amener des contraires, de créer des accidents ; de ce choc inconscient va naitre une œuvre. Tel est le processus de création de Castelbajac. Tout peut se faire au hasard, la disposition des œuvres, le trait sur le dessin. Non-conventionnel, il réinvente à chaque fois.
Interview de Jean Charles de Castelbajac :
-Créateur de mode, vous avez aujourd’hui une grande notoriété, comment l’envisagez-vous ? Est-ce un mode d’expression plus intime, plus personnel ?
JCDC : J’ai toujours travaillé l’art et la mode. Pendant trente ans l’art a inspiré la mode, aujourd’hui la mode inspire mon art. Il y a quelque chose auquel j’aspirais depuis trois décennies, le décloisonnement entre les disciplines, l’art et la mode. Lorsque je pense à l’art, je pense à quelque chose de transgressif. J’aime pousser les limites dans l’art, les transgresser. Etre designer, c’est répondre à des questions. Lorsque je fais de l’art, je pose des questions. Figuratif au départ, je crée aujourd’hui des compositions abstraites. Cette exposition est une étape, un chemin vers l’abstraction.
-Dans vos créations coutures vous avez su mixer entre art et mode sur vos robes, pour différentes collections. Quel est pour vous le lien entre l’art et la mode ?
JCDC : L’art et la mode ont atteint leurs limites. Dans mes premières collaborations, il n’y avait pas cette idée si présente de marketing, mais plutôt de recherche expérimentale. Aujourd’hui, le marketing est si présent que j’en vois les limites. Je m’intéresse à l’écologie, à l’expérience. Je me projette dans un futur proche où les seuls territoires positifs sont les vêtements de sport. Le Coq sportif, marque avec laquelle je collabore, est présente aussi dans mes œuvres artistiques.
-Des influences se ressentent dans vos œuvres, à qui faites vous référence ? Aux surréalistes, à Cocteau, à Picasso, à Prévert ? Avez-vous un souvenir particulier, marquant avec un artiste ?
JCDC : Mon expérience, ma culture, mes rencontres, mes lectures, habitent mon inconscient. Je retranscris ma propre version des choses, j’en fais mon expérience, mon style.
Mallevitch, Klein, Cocteau…de nombreux artistes font partie de mon univers culturel.
Je provoque ce que j’admire, je me les approprie. L’art me nourrit, j’ai de la matière. De Konning m’a inspiré pour les effacements dans mon œuvre.
Chaque rencontre est un moment émouvant, un moment de partage et de compréhension entre artistes.
Je me souviens encore de ce dessin que j’ai reçu, à la mort de Keith Haring, un homme important avec qui j’ai collaboré, notamment pour Madonna. Influencé aussi par le Pop’Art américain des années 60-80, il est devenu un ami, un proche avec qui je passais des heures à faire des cadavres exquis encouragé par mes fils.
Une collaboration est une mise en danger. Cette exposition marque cette idée. Tout est collaboration aujourd’hui.
-En tant que fin créateur de mode, quelle est l’importance de la couleur ? -Quelle importance donnez-vous à l’instinct, à l’instinct créatif, à l’accident?
JCDC : La couleur est viscérale. Les trois couleurs, rouge-de gueule, jaune-or, bleu-azur représentent mes racines médiévales qui viennent de la nuit des temps, symbolisent mon énergie. C’est un portrait chromatique. Les couleurs ont fait mon style, le lien entre mon art et ma mode.
L’instinct est la fulgurance. J’ai toujours ce désir de bouleverser ce que je vois, de le changer. J’ai l’instinct du chasseur, lié à l’instinct de vivre, de créer. L’instinct est l’instant.
Interview de Magda Danysz :
-Quel regard portez-vous sur l’art aujourd’hui ?
MD : L’art contemporain est avant tout le miroir de la réalité, de l’actualité et de ce qui nous entoure. C’est justement là que réside le talent, qui est l’incomparable compétence des artistes. Ils partagent leur vision du monde. Cette vision même qui dans certains cas ne peut être explicitée par des mots, mais justement par des sensations visuelles.
Ce qui fait de l’art aujourd’hui quelque chose d’intéressant, c’est qu’il est reflet de notre société, un témoignage incomparable, mais aussi une façon de mieux comprendre ce qui nous entoure, les enjeux et peut-être aussi les chausse-trappes du monde actuel.
La création artistique aujourd’hui brille par sa vitalité. Et bien que pendant des années nous avons tour à tour annoncé la mort de la peinture, de la photographie et que sais-je encore, les artistes trouvent toujours mille et une façons de s’exprimer, que ce soit par des techniques existantes ou en prenant à bras-le-corps les nouvelles technologies. Ils trouvent de nouvelles façons de partager leur vision du monde.
-Comment envisagez-vous le soutien et la promotion des artistes émergents ?
MD : Le soutien et la promotion des artistes émergents est essentiel c’est même l’essence de notre métier de galeriste. La façon de faire est primordiale, elle est faite de patience. Il ne faut pas s’étonner qu’il faille du temps au temps. Soutenir un artiste, c’est à la fois partager ses visions, ses rêves mais aussi rentrer dans le dur des projets, dans la production et parfois même aller jusqu’à en trouver les moyens humains, financiers, pratiques, etc. J’aime ce travail d’équipe qui fait que quand on s’occupe d’un artiste on est très impliqué dans tout cela. Je l’appelle « l’aventure artistique ». Quelle meilleure autre manière que de connaître le travail d’un artiste que de partager ces moments de créations de A à Z.
– Parmi tous les artistes rencontrés, que retenez-vous des œuvres exposées à la galerie et comment avez-vous abordé le travail de Jean Charles de Castelbajac ?
MD : Parmi tous les artistes rencontrés et toutes les œuvres exposées à la galerie au fil du temps, je garde beaucoup de belles histoires en mémoire, d’aventures et de défis. Je regarde tout cela avec beaucoup d’émotion. Nous avons la chance de travailler dans l’art contemporain et donc de voir l’histoire de l’art se construire devant nos yeux. C’est un fait que beaucoup de gens ne réalisent pas. Quand ils rencontrent les artistes, c’est l’Histoire de l’Art en marche qu’ils croisent.
Le travail de Jean-Charles de Castelbajac m’a toujours intéressée à plusieurs égards. Il est au croisement de nombreuses « industries ». Que ce soit dans la mode ou l’art, il a toujours su faire résonner et correspondre, au sens baudelairien du terme, avec brio les uns avec les autres. Ayant moi-même monté plusieurs expositions sur le thème de l’art et la mode, je ne pouvais être qu’intéressée par son travail. Ici au travers de cette exposition nous invitons le public à aborder le travail de Castelbajac avec beaucoup d’ouverture mais aussi d’humour. Il est prêt surprenant. Heureusement, il est quelqu’un de fascinant qui aime raconter des histoires, qui aime se jouer du monde, trouver des correspondances et des liens entre les choses diverses et variées.
I WANT, « The empire of collaborations », Solo show de Jean-Charles de Castelbajac
Galerie Danysz
78 rue Amelot, 75011 Paris
Du 3 février au 17 mars 2018
Vernissage 3 février 2018
Galerie Magda Danysz, Paris, Londres, Shangaï
Epic/ d’Or, Bowie, 2018